Salut à tous ! J’ai été contacté récemment par Audric, un étudiant de Master 2, qui a écrit un mémoire de fin d’étude sur le géocaching et notamment la récupération touristique de notre jeu. J’ai essayé de résumer les différentes idées présentes dans son travail, en recopiant ici les propos qui m’ont paru les plus intéressants. L’article est un peu décousu en piochant des phrases de cette façon, mais cela évite de déformer ces propos. Un peu de réflexion sur le géocaching ne fait jamais de mal…
Le géocaching : activité physique de pleine nature, sport ou jeu ?
Selon Parlebas (1986), « Le sport est avant tout une situation motrice (ce critère éliminant les jeux non moteurs tels les échecs par exemple) ; cette tâche motrice est assujettie à des règles définissant une compétition (traits rejetant les activités libres et improvisées) ; enfin, et c’est là que gît une grande part de son identité sociologique, le sport est un fait institutionnel (trait excluant l’immense cohorte des jeux non reconnus par les instances officielles).
Et qu’est-ce qu’un jeu ? C’est avant tout :
- Une pratique « libre » : sans obligation de joueur
- Une pratique « séparée des autres activités humaines » : étroitement circonscrite dans des limites dans le temps et le lieu
- Une pratique « incertaine » : déroulement et résultat indéterminés
- Une pratique « improductive » : si élément de productivité, l’activité devient activité de travail
- Une pratique « réglée » : un jeu amène des règles qu’elles soient personnelles ou informelles
- Une pratique « fictive » : réalité seconde par rapport à la vie courante
En fait, le géocaching est avant tout un jeu qui dispose de caractéristiques de pratiques physiques ludiques.
La particularité de cette pratique par rapport aux autres tient dans ce passage entre virtualité et réalité :
- Réalité (extérieur, hors ligne) d’abord avec la découverte d’espaces géographiques mais aussi par la pratique de l’activité physique encouragée aujourd’hui pour le bien-être et la santé
- Virtualité (intérieur, en ligne), par le biais des activités connectées face à l’écran d’ordinateur pour aller chercher les coordonnées GPS de caches ou partager ses expériences.
Pour Boulaire (2008)« le géocaching est un loisir qui propulse le joueur à l’extérieur pour vivre une itinérance assistée technologiquement » ou encore « une union entre la nature et les technologies de pointe« .
Le géocaching semble être une activité postmoderne. Mais qu’est-ce donc ? C’est une pratique ludique « teintée d’escapisme » (Maffesoli, 2000), c’est à dire avec pour composante majeure de s’évader de la vie quotidienne, de ce temps social standardisé et uniformisé.
C’est un jeu « produit par ceux qui y jouent » (Boulaire, 2008). Autrement dit, nous sommes au-delà du jeu participatif tant la sphère géocaching est détenue par ses propres utilisateurs.
Le géocaching est une appropriation du joueur pour le territoire où il insère sa cache. Il transforme un espace en un lieu de visite. En effet le géocaching, pour les géocacheurs, est en quelque sorte un guide touristique où sont répertoriées les coordonnées des lieux les plus attirants à leurs yeux.
Les territoires ont compris que l’enjeu aujourd’hui dans le monde du tourisme est de « ludiciser » les pratiques touristiques et ce, afin de concerner le public dans leurs activités. Les acteurs intègrent le phénomène dans leur offre et diffusent l’information (GéoTour en Vendée). Ils s’approprient le concept du géocaching et le placent au cœur de leur positionnement, comme Terra Aventura ou le Conseil départemental de Haute-Bretagne via « Les trésors cachés de Haute-Bretagne ».
Le géocaching semble donc être à l’aube d’une appropriation institutionnelle multiple, jouant un jeu relativement contradictoire et incertain même pour les pratiquants qui pourtant sont l’âme du jeu et qui semblent dans certains cas, comme le GéoTour Bion3, enclins à refuser toute démarche institutionnelle (Dubet, 2002) de leur pratique par des acteurs qui proviennent du monde commercial, économique ou encore sportif.
Cette communauté est soutenue par des normes et des valeurs de liberté, d’originalité d’une pratique qui a butiné à droite et à gauche pour se créer une authenticité amenée par un ensemble de joueurs qui portent et défendent leur jeu.
Toutefois, l’institutionnalisation peut soutenir un nouveau développement de la pratique du géocaching en démultipliant les acteurs, tout en gardant en parallèle une « pratique originelle » identique grâce à une grande communauté de géocacheurs. C’est le sujet du mémoire d’Audric, et la base de ses interviews avec des géocacheurs de sa région.
Qualification du géocaching et effets de l’institutionnalisation touristique
Audric a échangé avec des géocacheurs, d’ancienneté variée dans le jeu, et leur a posé une série de questions sur le jeu lui-même, ainsi que sur l’utilisation touristique qui en est faite. Voici d’abord la façon dont le géocaching est vu par eux (selon leurs propres mots) :
- Le géocaching permet de visiter des endroits auxquels on n’aurait jamais mis les pieds.
- Une parenthèse permettant de sortir du monde du travail.
- Le géocaching en lui-même est une activité qui n’a pas pour définition le sport mais il « peut se greffer sur d’autres activités déjà existantes tel que la randonnée.Un mix entre sport, jeu et culture ».
- Du ludique intelligent. Ça permet de s’amuser et de s’instruire en même temps, dans un espace libre.
Les joueurs interviewés ont ensuite donné leur avis sur l’entrée des offices de tourismes dans le jeu, leurs paroles sont reprises ci-dessous.
Pour :
- Aucun problème à partir du moment où ça respecte la philosophie géocaching
- Il n’existe pas forcément de différence entre « une cache touristique » et une autre
- Il y a le connu et l’inconnu et quand on va dans une région, c’est bien d’arriver à découvrir les deux
- Cela peut freiner certaines personnes voire faire quitter le jeu à certains mais il y en a toujours plus qui arriveront par rapport à ceux qui partiront
Contre :
- Un Office de Tourisme n’est pas innocent
- Le jeu doit rester « aux mains des géocacheurs et pas aux mains des OT »
- Si c’est une marque qui se met à faire des caches, c’est complètement contradictoire
- Groundspeak profite de sa position largement dominante dans le monde pour se faire de l’argent.
En résumé, le tourisme du géocaching peut amener de nouvelles idées, et donner un nouvel élan au jeu, mais qui selon certains n’en a pas vraiment besoin.
Dès lors, des entités touristiques néophytes amenant une population nouvelle fait peur. C’est un jeu qui est produit par ses joueurs (Boulaire 2008) et c’est pour cette raison que la communauté « ancienne », celle qui était là avant l’évolution du jeu se sent menacée de cette arrivée.
Quel comportement pour la communauté de géocacheurs la plus ancienne ?
Il semble que le jeu se dirige vers un géocaching à deux vitesses : c’est-à-dire d’un côté une pratique très touristique avec la population que cela amène et de l’autre côté, une pratique plus originelle et ancienne. La barrière entre les deux reste bel et bien imaginaire car les discours dans l’ensemble sont modérés quant à ce modèle « plus médiatique ». Ces changements n’ont cependant pas touché les géocacheurs les plus anciens qui restent très attachés à leur jeu et ne semblent pas prêts à se plier à un nouveau modèle. Ils semblent plutôt motivés à continuer leur géocaching non sans adaptation avec ce géocaching émergent.
En effet, le géocaching à son origine est une activité qui tient sa réussite dans sa discrétion. Or depuis quelques temps, il semble s’orienter vers d’autres horizons justement via les opportunités touristiques telles que le GéoTour par exemple.
Comment faire en sorte que les relations avec les structures touristiques se passent bien ? Il serait potentiellement intéressant de regrouper un certain nombre de géocacheurs reconnus afin d’en faire des accompagnateurs dans la construction, la gestion, voire la mise en place de produits de géocaching touristique pour les structures voulant mettre en place ce type de projet. Les avantages sont multiples. Cela permet dans un premier temps de construire quelque chose de solide correspondant à la philosophie géocaching afin de ne pas se mettre la communauté à dos.
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Merci à Audric pour s’être penché sur cet aspect délicat du géocaching 🙂 Chacun pourra se forger son propre avis en lisant son travail et par sa propre expérience sur le terrain. Pour ma part, le tourisme et les aspects commerciaux dans le géocaching ne me dérangent pas tant que cela reste modéré. Différentes visions du jeu peuvent cohabiter, et pour avoir logué des caches d’OT ou de géotours, leur qualité n’était ni meilleure ni pire que la plupart des caches posées par des joueurs. Ce jeu est aussi sympa par sa diversité de pose et sa liberté à choisir quelles caches nous intéressent !
Le mémoire d’Audric : Institutionnalisation du geocaching, voir aussi Géocaching et géographie, Interview de Groundspeak, Dave Ulmer, inventeur du géocaching.
Merci une fois de plus Tof pour le partage.
La conclusion « Comment faire en sorte que les relations avec les structures touristiques se passent bien ? Il serait potentiellement intéressant de regrouper un certain nombre de géocacheurs reconnus afin d’en faire des accompagnateurs dans la construction, la gestion, voire la mise en place de produits de géocaching touristique pour les structures voulant mettre en place ce type de projet. » est certainement la plus sage recommandation que l’on puisse donner.
Dans un territoire que je connais (Le Limousin, devenu depuis peu la Nouvelle-Aquitaine), c’est ce qu’a fait Tèrra-Aventura en créant les « Ambassadeurs » (géocacheurs individuels) qui constituent maintenant la communauté des « ZIPs ». Ils conseillent, critiquent aussi mais surtout participent à l’évolution du jeu et aux jurys. Tout ne s’est pas fait en un jour, notamment lors de la création en 2011 … mais le géocaching mondial venait tout juste d’avoir 10 ans !
8 ans plus tard, plusieurs animations (dont des events officiels) sont organisées en commun, un concours maker madness a vu le jour, des lycéens géocacheurs ont l’opportunité de faire des stages dans l’envers du décors, etc… tout cela dans une belle symbiose.
Je souhaite que les autres initiatives fonctionnent aussi bien dans les autres régions et dans le futur pour le plaisir de tous.
Une précision : je suis géocacheur/poseur et n’ai aucune activité en lien avec les OT 😉
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